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Episode 5 : le normand de Provence

A Londres, je peux dire que ma vie sociale est en construction. J’ai beaucoup de bons copains avec qui sortir, que ce soit pour faire la fête, aller au musée ou boire un verre. Je ne peux pas franchement parler de véritables amitiés cependant. Les relations, quand on est expatriés, sont d’abord et le plus souvent assez superficielles, dans la mesure où elles se construisent sur la nécessité de vite s’entourer de monde sitôt arrivés dans ce pays qu’on ne connaît pas et où on ne connaît personne. Mais avec le temps, on finit par « faire le tri », on affine son cercle d’amis, on ne garde que ceux avec qui les discussions sont naturelles et coulent sans que l’on ne regarde sa montre : ceux qui savent vous écouter dans les moments difficiles et qui ne restent pas soudés à vous par pur intérêt personnel sans être capables de donner en retour. J’ai donc, à Londres, de bons copains de sortie sur qui compter. Mais de véritables amis, pour l’instant et tristement, non, je ne peux pas dire que j’en compte autour de moi. J’imagine que toutes ces choses là prennent du temps. D’un côté, je l’ai bien voulu, personne ne m’a forcée à quitter mon pays et à tout reconstruire en partant de zéro.

Parmi les rares amis qu’il me reste de France, je sais que je peux compter sur une bonne copine du sud, originaire de Marseille. Notre rencontre remonte à quinze années en arrière, quand nous étions adolescentes. Notre amitié a été assez irrégulière, non pas dans le sentiment (nous nous sommes toujours appréciées, jamais disputées), mais dans notre capacité à maintenir le contact. Nous avons connu des périodes où nous nous écrivions beaucoup (nous n’habitions pas dans la même région de France, notre contact était exclusivement écrit), d’autres pas du tout. Arrivée à Londres, bizarrement, et alors qu’elle vivait toujours dans le sud de la France, nos liens se sont resserrés. J’ai pris de ses nouvelles un jour, par hasard. J’étais heureuse et fière de partager l’exploit d’être sortie de ma zone de confort en m’installant ici. Cela faisait des années que nous n’avions pas parlé. Elle m’apprenait alors qu’elle venait de quitter son copain avec qui elle était restée de nombreuses années, exactement comme moi à ce moment de ma vie. Drôle de coïncidence. C’est ce qui nous a immédiatement rapprochées. Un jour, j’ai pris un vol Londres-Marseille pour lui rendre visite, et notre amitié s’est relancée comme une machine bien huilée qui démarre sans peine au premier coup de clé.

 

Cela fait plusieurs mois maintenant que notre amitié a repris le cours normal de son existence, presque comme si nous n’avions jamais cessé de nous écrire. Un jour, elle m’apprend que sa mère est subitement hospitalisée après une série de malaises à son domicile. Quelques mois plus tard à peine, cette dernière décède des suites d’un cancer foudroyant, que personne n’a vu venir. Cette nouvelle si brutale qui vient bouleverser la vie de mon amie me jette pendant plusieurs jours dans une profonde mélancolie qui me renvoie à la fragilité palpable de nos maigres existences. La douleur inguérissable et impitoyable d’avoir perdu si vite et si jeune sa mère me paraît d’une violence inouïe et abjecte.

Alors sans hésiter, ce week-end de décembre, alors que l’hiver masque d’un voile lugubre la capitale britannique (le fameux « fog »), je décide de m’échapper vers le sud de la France pour rendre visite à mon amie et l’accompagner dans cette douloureuse épreuve.

 

Depuis l’aéroport de Marseille où elle vient me chercher, la mine abîmée d’avoir peu dormi et beaucoup pleuré depuis des jours, il faut ensuite rouler quelques temps pour rejoindre Aix-en-Provence. Mon amie m’apprend en effet dans la voiture qu’elle a quitté Marseille pour s’installer ici. « C’est plus petit, plus calme », me dit-elle. Elle me confie qu’elle est contente de m’avoir chez elle ce week-end, que ma présence va lui changer les idées, un peu, si on peut dire ça comme ça. Nous n’évoquons pas davantage le décès de sa mère.

 

Il pleut aujourd’hui à Aix. Nous nous abritons sous le large auvent d’une terrasse de café, où nous commandons une bière. J’ose demander à mon amie comment elle va :

« Ça va, écoute. J’ai encore du mal à réaliser ce qui vient de se passer. Mais je crois, avec le recul, que c’est mieux ainsi. Elle est sans doute mieux là où elle est. »

Que c’est triste, cette histoire…

Un silence passe, songeur.

« Demain soir, j’ai une amie qui fait sa pendaison de crémaillère, reprend-elle plus fort alors que les gouttes de pluie qui tambourinent au-dessus de nos têtes couvrent nos voix. Elle habite du côté de Martigues. Ça te dit qu’on y aille ? Je crois que faire la fête me fera le plus grand bien. Du moins, je penserai à autre chose... »

Cœur bavard - série littéraire

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