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Episode 4 : l'autre pote du théâtre

L’hiver vient de passer à Londres. Les jours rallongent petit à petit. Je m’extasie devant les différents tableaux londoniens que le printemps peint tous les jours à ma fenêtre. Dans chaque square, à l’angle des rues, les arbres, la pelouse et les massifs de fleurs reprennent leurs couleurs. Tout Londres est inondé d’un torrent de verdure. Le matin, en allant travailler à pieds à mon école au petit jour, j’entends chantonner les oiseaux cachés dans les arbres. Ce qui m’émerveille le plus dans cette jungle urbaine, ce sont les gros écureuils gris que je croise tout au long de mon chemin : bien peu farouches, ils viennent jusqu’à mes pieds réclamer de quoi manger. C’est presque s’ils ne me montent pas dessus lorsque je sors un paquet de biscuits de mon sac ou un morceau de pain sec, que j’ai spécialement gardés de côté pour eux. J’ai l’impression de me prendre pour un personnage féminin d’un dessin-animé de Walt Disney, à parler aux animaux et à chanter avec les oiseaux tout en traversant des bois magiques.

 

Notre spectacle de théâtre approche. Dans la troupe, nous sommes tous stressés. Il s’agit pour la plupart d’entre nous de notre première représentation en public. Ce n’est pas la première fois que je monte sur scène, mais j’ai déjà le trac, longtemps à l’avance. La coutume, dans cette école de théâtre, est de faire jouer des monologues aux élèves de première année. Je vais interpréter un texte d’une auteure britannique, Sarah Kane, traduit en français. A vingt-huit ans, elle a mis fin à ses jours après de longues années à lutter contre la dépression. Mon texte s’appelle « Manque ». Il consiste en une série de phrases sans ponctuation à travers lesquelles la dramaturge fait la liste de toutes les choses qu’elle regrette chez la personne aimée. Hyper joyeux comme texte ! Le plus dur sera, au-delà du trou de mémoire, de ne pas craquer en public en prononçant ces mots si tristes et si forts.

 

Comme depuis le début de cette aventure théâtrale, un grand brun aux yeux bleus, la trentaine, avec une dent de devant de travers, ne cesse de me jeter des regards en coin pendant nos répétitions. Cela ne fait pas l’ombre d’un doute que ma présence le perturbe. Quand nous nous retrouvons à exécuter un exercice à deux, et que je me retrouve avec lui, il en perd tout son latin et devient rouge comme une tomate. Dans la troupe, tout le monde a remarqué son malaise, et s’en amuse gentiment. Je ne peux m’empêcher de rire quand il se retrouve à bafouiller face à moi et, en même temps, je me sens assez gênée. Un soir, il y a plusieurs semaines maintenant, alors que je buvais un verre avec un autre gars de la troupe (un beau gosse blond que toutes les filles s’arrachent), celui-ci m’avait proposé de jouer les intermédiaires entre le brun à la dent de travers et moi, tout plein d’espoir à l’idée d’être à l’origine de la formation d’un couple. Excitée par ce projet très adolescent, je m’étais empressée de donner mon accord. Pourtant, quelques jours plus tard, et contre toute attente, le beau gosse blond m’avait retrouvée dans un bar à côté de chez moi un mardi soir pour d’une part, m’annoncer que le grand brun n’était finalement pas intéressé par ma personne, puis pour, d’autre part, en profiter pour me rouler une galoche en bas de mon immeuble tout en prétextant qu’il me raccompagnait pour ma « sécurité ».

 

Plutôt surprise par ce revirement de situation, je ne regarde plus le brun de la même manière depuis. Il semble, de plus, plutôt distant vis-à-vis de moi maintenant. Je pense qu’il doit se douter qu’il s’est passé quelque chose avec le beau gosse blond. Je sens qu’il le regarde d’une toute autre manière désormais. Pourtant, de temps en temps, je vois bien qu’il me lance encore quelques œillades. A quoi joue-t-il, celui-là ? Et que veut-il, à la fin ?

Cœur bavard - série littéraire

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