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Episode 4 : l'autre pote du théâtre

Aujourd’hui, plusieurs années après, le temps a coulé.

Le grand brun et moi avons terminé notre année de théâtre dans l’indifférence la plus totale. J’ai décidé de ne plus lui porter la moindre attention. Entre temps, il a bien senti que quelque chose s’était passé avec le beau gosse blond de la troupe, ce qui n’a fait qu’accentuer notre prise de distance mutuelle. Je n’ai pas poursuivi les cours de théâtre l’année suivante et n’ai par conséquent plus revu le grand brun. Sauf une fois.

J’avais pour projet de quitter mon appartement et il était intéressé pour le reprendre. Un jour, avant de prendre sa décision, il était venu le visiter de plus près. Je lui avais fait un rapide tour des lieux. Quand nous nous étions retrouvés dans ma chambre – et alors qu’il ne s’y était jamais rien passé – j’avais ressenti comme une gêne à nouveau, entre nous. Il s’était couché sur mon lit pour tester la literie. S’en était suivi un petit silence lourd de sous-entendus, lui allongé sur mon lit, moi le regardant tout en repensant à cette nuit foireuse et cette arnaque de rendez-vous le long du canal.

Peu de temps après, je quittais définitivement Londres. Depuis, nous n’avons plus jamais eu de nouvelles l’un de l’autre.

 

***

 

Dans un petit théâtre du quartier de Finsbury, des comédiens amateurs s’agitent sur scène. La pièce qu’ils interprètent est étrange, mélange d’absurde et d’humour, très particulière. Sans doute que ce choix artistique a été réalisé par une professeure de théâtre tout aussi farfelue que ce qui se déroule sous les yeux des spectateurs. Il fait très chaud dans le public. La salle est toute petite, pas ventilée. Sur scène, les comédiens se démènent, changent de costumes en un éclair, enchaînent les tableaux sans répit. Ils réussissent avec brio une performance audacieuse qui ne semble clairement pas évidente. Sous les lumières des projecteurs, leur peau transpire, leurs cheveux brillent de mille feux de sueur et de laque, le maquillage coule sous leurs yeux. Ce ne sont que des amateurs, et pourtant leur dévotion est émouvante. Ils sont beaux à voir.

Lors d’une scène, l’une des filles de la troupe joue le rôle d’une cliente qui vient acheter, dans un magasin d’humains, deux hommes, figés comme de simples produits à vendre quand elle fait semblant de passer devant eux dans un rayon de supermarché imaginaire. Les deux comédiens « à vendre » sont physiquement bien distincts l’un de l’autre : l’un a les cheveux coiffés en arrière, blonds, la mine bien faite, le corps – qu’on devine sous les habits moulants – viril et ferme. L’autre est très grand, brun, les yeux d’un bleu intense et le dos courbé, l’air un peu nigaud, sourire charmeur. Dans le public, alors que personne ne rit, on entend glousser une jeune femme au dernier rang. Son regard se balade d’un homme « objet » à l’autre, tandis que la fausse cliente joue parfaitement la comédie d’hésiter à acheter l’un ou l’autre. Visiblement, la scène amuse beaucoup la spectatrice, qui lui rappelle sans doute des souvenirs bien cocasses.

Le choix de la cliente ?

Elle repart avec le grand brun dans son caddie… évidemment !

 

Il s’appelait Pol.

Cœur bavard - série littéraire

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