Aujourd’hui, plusieurs années après, le temps a coulé.

Contre toute attente, le barbu et moi sommes devenus de très bons amis. C’était, de toute évidence, la meilleure relation que nous puissions avoir. Le désir envers lui n’est jamais venu, même après s’être revus et avoir entendu – et accepté – ses excuses. Concernant ses maladresses légendaires, sitôt la colère passée, j’ai rapidement pardonné. Il m’en faut bien plus pour en vouloir à quelqu’un. J’ai appris à apprécier cet homme en tant qu’ami, avec sincérité et spontanéité. Ce que j’aimais avant tout chez lui, c’était son sens de la conversation, son esprit fin et malin, son regard mature et posé sur les choses de la vie, son humour pince sans rire. Nous avons toujours apprécié, désormais sans ambiguïté, la compagnie l’un de l’autre. Nous nous sommes donné des nouvelles régulièrement. De son côté, après s’être déçu lui-même de s’être comporté aussi stupidement avec une fille, l’attirance a fini par s’arrêter aux bornes de l’amitié, et le violent rejet qu’il a ressenti de ma part l’a poussé à se prendre en main. Il a, notamment et depuis notre « rupture », beaucoup réfléchi sur lui, perdu du poids et adopté une meilleure hygiène de vie.

 

***

 

Le long du port aux maisons colorées, dans le quartier très touristique de Copenhague, deux français et une allemande mangent un plat typiquement danois à la terrasse d’un restaurant. Il ne fait pas très chaud ce jour-là, et le ciel est un peu gris. Les trois trentenaires commentent la météo et sont d’accord sur le fait qu’ici, le temps est à peu près pareil qu’à Londres. Les deux français, un homme à la barbe brune et une femme aux cheveux courts, se remémorent avec une certaine nostalgie cette période de leur vie où, jeunes et maladroits, ils ont essayé de démarrer une relation qui s’est avérée au final complètement foireuse. L’histoire fait rire l’allemande assise en face deux. Elle sort avec le barbu depuis de nombreuses années maintenant. Elle connaît forcément son passé, ses histoires avec les filles qui ont croisé sa route. Tous deux forment un joli couple. C’est la première fois que la française, ex-habitante de Londres, la rencontre. Elle est flattée que son ami la lui présente officiellement. « Elle ferait une bonne amie », pense-t-elle dès les premières minutes de discussion. C’est lui qui a eu l’idée de venir rendre visite, pour la deuxième fois, à la française aux cheveux courts, cette fois-ci accompagnée de sa dulcinée. L’allemande sent bien que son copain et la française sont proches. Il faut dire qu’ils ont vécu de drôles de choses tous les deux, bien avant qu’elle ne rencontre son barbu de fiancé. Mais elle voit bien aussi qu’il n’y a, définitivement entre les deux, qu’une sincère et pure amitié qui les unit, depuis longtemps. Leurs yeux rient encore de leurs anecdotes farfelues. Ils ne sont pas devenus des amants endiablés, mais des amis qu’on peut envier.

 

Il s’appelait Romain.