Episode 2 : le prof de théâtre
Un trimestre entier passe. Je renouvelle mon inscription aux cours de théâtre pour poursuivre trois mois de plus. Ce qui n’était que de simples cours du soir prend une toute autre ampleur pour ma prof qui, victime de son succès, se retrouve très vite accaparée par de plus en plus d’inscriptions. Elle décide par conséquent d’ouvrir de nouvelles classes les autres soirs de la semaine. Ne pouvant être partout à la fois, elle délègue son travail à son ami, le gars aux lunettes rondes de notre troupe qui, en réalité, avait intégré notre petit groupe non pas pour suivre les cours mais dans la perspective d’observer leur déroulement afin de devenir à son tour notre professeur. Je l’aime bien. Il m’inspire beaucoup de sympathie et son humour me plaît. Je suis aussi admirative de son talent de comédien ; très à l’aise en public, c’est un gars bien dans sa peau, à l’aise avec son corps. C’est, de mon point de vue, une qualité – cette confiance en soi apparente – qui donne un charme fou. Je suis récemment sortie pendant un peu plus d’un an avec un homme adorable du nord de la France qui était son exact opposé : mal à l’aise avec son grand corps maigre de quasiment un mètre quatre-vingt dix, à la fois raide et voûté, ne sachant pas quoi faire de ses longs bras et de ses longues jambes, il fuyait chaque occasion où le corps entrait en action en public. Avec lui, je n’ai jamais dansé en soirée (moi qui aime tellement ça !) ni pratiqué aucune activité sportive en sa compagnie. Je me souviens encore de la frustration ressentie lorsque, un soir à Barcelone, alors qu’il venait me rendre visite le temps d’un week-end, nous étions sortis dans un bar dansant à côté de chez moi avec quelques amis pour nous amuser. L’ambiance battait son plein. Les gens avaient un peu bu, la musique était entraînante. Tout le monde dansait et s’amusait sur la piste sous les éclats multicolores des projecteurs. Sauf une personne. Accoudé gauchement à une table haute, il était le seul à ne pas apprécier l’esprit festif de la soirée. Je l’avais entraîné avec moi, ou plutôt trainé, au milieu de la foule pour essayer de le motiver ; après tout personne n'aurait pu le remarquer, personne ne se serait moqué de son allure ou de sa manière de danser, personne ne se regardait ! Mais, même s’il m'avait suivie gentiment pour me faire plaisir, il n’y avait rien à faire ; il était resté planté bêtement là, en plein milieu de la piste de danse, tétanisé, raidi, bousculé de tous côtés, pour finalement vite se carapater sitôt la chanson terminée. Comme j’avais trouvé cette attitude décevante ! J’aime les hommes qui dégagent une certaine confiance en eux, qui n’ont pas peur du regard des autres, qui osent et entreprennent.
Mon tout nouveau prof de théâtre, donc, est tout l’opposé de cet homme que j’ai connu. Sa façon d’animer les cours est dynamique. Je m’y amuse et apprends beaucoup. Un soir après le cours, alors que nous papotons tous, il nous apprend qu’il est installé à Barcelone depuis quelques années et, qu’en dehors des cours de théâtre qu’il donne depuis peu, il gagne sa vie en jouant au poker en ligne. Plutôt originale comme vie. A Barcelone, il a rencontré une fille avec qui il sort depuis quelques mois. Ils viennent de s’installer ensemble, dans un appartement défraîchi. De temps en temps, il m’écrit après le cours, ou parfois le lendemain. Rien d’étonnant au fait qu’il possède mon numéro de téléphone : je le lui avais donné afin qu’il crée un groupe Whatsapp entre élèves du même cours d’improvisation. Un soir, je reçois un message de sa part : il me demande une information par rapport à une conversation que nous avons eue plus tôt pendant le cours. Une autre fois, c’est pour savoir le nom d’une personne que nous avions évoquée quelques heures en arrière. Une autre fois encore, pour me demander une chose sans grand intérêt. En somme, tout un tas de petites excuses pour me contacter. Je réponds simplement, sans engager forcément la conversation, sans paraître non plus ambiguë. De toute manière ce mec est en couple, et tant bien même il ne le serait pas, je ne me sens pas spécialement attirée. Pas de quoi commencer une quelconque romance. Lorsqu’il m’envoie ses messages, je reste un peu dubitative devant mon écran de téléphone. A-t-il réellement besoin de toutes ces menues informations ou est-ce un moyen d’essayer d’enclencher une conversation ?