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Episode 2 : le pote du théâtre

Un soir, le petit groupe décide d’aller boire un verre dans un pub à côté de notre salle de répétition, histoire de discuter un peu pour briser la glace. Finalement et à la dernière minute, la plupart se désistent et je me retrouve quasiment seule à seule avec les deux gars du groupe. Comble de la gêne pour le grand brun à la dent de travers, qui se retrouve presque en tête à tête avec moi. Heureusement que le beau gosse blond est de la partie, ça détend un peu l’atmosphère. Juchés sur des tabourets hauts, dans le bruit moite d’un pub typiquement londonien, nous buvons de larges bières sans trop savoir quoi nous dire à part nous échanger quelques banalités sur nos vies.

Je regarde le beau gosse blond en me disant qu’il est de ce type de mecs inaccessibles que toutes les filles doivent s’arracher et qui doit avoir ce luxe de faire un peu le difficile, de refuser des avances, de faire sa « sélection ». Le brun, lui, ne fait aucun doute : dès que je lui adresse la parole, il rougit jusqu’aux oreilles, rigole un peu bêtement, en perd même parfois ses mots. Je lui fais visiblement un drôle d’effet, j’avoue que je ne comprends pas vraiment pourquoi et cela me met très mal à l’aise. Je sens que le beau gosse blond perçoit le manque d'assurance du brun à la dent de travers, cela ne fait qu’augmenter ma position inconfortable au milieu de cette discussion, dans ce pub bruyant, et j’ai très envie de m’en aller.

 

Les semaines passent. Un soir, après nos deux heures de répét’, nous sortons dans un autre bar, cette fois-ci bien plus animé. La musique couvre nos voix et il faut presque hurler pour se faire entendre. D’humeur festive, j’enchaîne les verres d’alcool, alors que nous sommes un soir de semaine. Je me dis que le lendemain, le réveil sera douloureux et que j’aurai une drôle de mine devant mes élèves. Mais ce soir-là, j’ai envie de m’amuser. Le beau gosse blond, un peu éméché lui aussi, vient à un moment me parler à l’oreille à propos du brun que je déstabilise toujours autant :

« Qu’est-ce que tu penses de lui ? » me demande-t-il abruptement.

La question m’étonne et m’amuse :

« Tu joues les entremetteurs ? C’est lui qui t’envoie à la pêche aux informations ? »

La musique monte d’un cran. Le beau gosse se rapproche encore davantage de moi, me hurle dans l’oreille :

« Non, pas du tout, mais je vois bien qu’il y a un petit quelque chose entre vous. Si je peux te donner mon point de vue, cela ne fait aucun doute que tu lui plais. Ça se voit comme le nez au milieu de la figure. »

Je ne sais pas pourquoi, mais cette semi-révélation (je n’apprends en réalité rien de nouveau, mais de l’entendre de la part d’une tierce personne me fait plaisir) réveille en moi un élan de tendresse inespéré : après dix ans de vie de couple, et quelques mois à peine de célibat, j’ai les émotions à fleurs de peau. Je sais et je sens que je ne peux, tristement, vivre sans amour. Je crois, de ce que j’ai lu, que l’on appelle cela de la « dépendance affective », le mot fait peur, mais après toutes ces années de vie à deux, et dans cette jungle urbaine qu’est Londres, je me sens perdue, et en même temps, délicieusement déboussolée.

L’alcool aidant, l’ambiance du pub animé avec, je m’excite toute seule auprès du blond comme une gamine de quinze ans qui vit son premier crush :

« Sérieusement ? Tu crois ? Arrête !

- Il te plaît aussi ? Je peux aller lui parler, je pense qu’il n’ose pas t’aborder, il a l’air tellement timide . »

Qui ne tente rien, n’a rien.

« Bien sûr, va lui parler, fais-lui comprendre qu’il me plaît aussi ! Je suis timide également, on ne risque pas d’aller bien loin à ce rythme là... »

Bon, en réalité, le brun ne me plaît pas tant que ça, mais je ne suis pas non plus insensible à son charme et puis, je ne demande qu’à être conquise, à dire vrai.

Le blond et moi continuons à parler, le sourire aux lèvres, l’œil pétillant et animé par ces potins sentimentaux. Il est aussi visiblement tout aussi excité que moi par la situation. L’alcool, la timidité, l’adrénaline de la conversation font que je sens mes joues rougir. A un moment, très brièvement, comme un éclair, je crois déceler dans ses yeux une lueur un peu différente des autres fois. Une petite flamme, une petite étincelle un peu ambiguë, un peu étrange, qui a l’air de dire : « je te trouve bien mignonne aussi, il n’a pas tort le brun de s’intéresser à toi ». Nos yeux se croisent et je suis soudainement pétrifiée. Je ne dis plus rien et contemple le fond de mon verre de Gin To. Je le sens sourire à côté de moi tout en me fixant. Puis je reviens à la réalité, je me dis qu’un mec pareil n’a en aucun cas dans son viseur une nana comme moi, petite, cheveux coupés à la garçonne, pas très sûre d’elle, qui ne connaît pas les codes de la séduction. Je sens pourtant malgré moi un léger malaise flotter dans l’air et, paniquée, je change de conversation et finit par avaler le fond de mon verre cul-sec. Le blond a l’air amusé de me voir ainsi confuse, et je lis sur son visage une expression que je n’ai jamais perçue auparavant. Au comble de la gêne, me disant que je suis en train de me monter des films, je quitte le pub et rentre chez moi.

Cœur bavard - série littéraire

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