Episode 1 : le clandestin péruvien
Très vite, le bruit sourd des bars et la chaleur lourde nous donnent l’envie de retourner au frais sur une plage. Nous nous installons à celle du centre ville, un peu à l’écart de l’agitation. Mon amie, surexcitée par l’alcool et l’agitation passée dans les bars, crie : « mais bordel, où sont passés les beaux mecs ?! ». Elle ne croit pas si bien dire...
Nous nous allongeons sur le sable. Je ressens immédiatement la fraîcheur sur mes jambes nues. La mer est devenue noire comme de l’encre, épaisse et mystérieuse. Derrière nous, un petit groupe de mecs joue au volley-ball. A l’affût du moindre gibier mâle, mon amie se retourne sur eux, à peine discrète, tandis que moi, l’âme poète, je préfère contempler le spectacle vivant d’une Méditerranée sombre et enivrante. Mon amie me tire des mes pensées :
« Coco ! Il est pas super mignon là, celui qui a un tatouage sur la cuisse ? »
Je ne sais pas si elle se rend compte qu’elle hurle. Nos oreilles sont encore engourdies par le tapage des bars. Je réponds un « mmmmh » évasif, le regard plongé dans les étoiles. Devant ses lourdes insistances, je me retourne sur les joueurs de volley-ball.
Alors, oui, en effet, le mec avec le tattoo sur la cuisse, pas mal. Mon amie, très fine et subtile, interpelle sans vergogne le petit groupe sur un ton légèrement aguicheur. Résultat : tout le monde s’arrête de jouer, la partie est terminée, et voilà que les joueurs se divisent en deux camps. La plupart d'entre eux prennent leurs affaires et rentrent chez eux. Ceux qui restent - deux d'entre eux - nous rejoignent papoter sur la plage. J'avoue ressentir une flemme immense à l'idée de sociabiliser. Je fais un effort colossal pour ouvrir la bouche et dire un "hola" teinté d'un horrible accent français. Nos deux nouveaux amis ont l'air cependant sympathiques, on ne peut pas le nier : le mec au tatouage sur la cuisse - la cible de mon amie -, la trentaine, séduisant, ainsi qu’un petit jeune à la peau brune, le visage caché sous une casquette, dont je devine à peine les traits, l'air timide. Forcément, ma pote se rapproche au plus vite du charmant tatoué : elle apprend qu’il est argentin. Elle, parle couramment l’espagnol, engage facilement la conversation avec lui, le fait rire, finit par me laisser sur le carreau (enfin, sur le sable), seule avec le petit jeune à la casquette et mes trois mots d'espagnol, ne sachant quoi lui dire.
Les deux tourtereaux décident d’aller faire un bain de minuit à poils. Je me sens con comme jamais, le petit gars à la casquette est visiblement du genre bavard alors, devant ma mine sur laquelle il lit la gêne, il me parle en anglais. Je suis plutôt surprise par son vocabulaire et sa grammaire plutôt justes et élaborés. Il finit par enlever sa casquette et j’avoue me laisser surprendre par la finesse des traits de son visage, son joli sourire blanc, sa peau mate, ses yeux malicieux et ses cheveux d'un noir profond. Bon sang, il a un charme fou en fait, ce mec. Très jeune, en revanche. Je dirais : la vingtaine. Je suis visiblement plus âgée, cela ne fait aucun doute sur notre différence d’âge. Je le dévisage pendant qu’il me parle. Je lui trouve l’œil pétillant et le verbe facile. Je reste saisie par sa beauté juvénile et son aisance insolente.
Il m’apprend qu’il vient du Pérou, arrivé sur l’île de Palma il y a quelques mois pour fuir une vie difficile à Lima. Il me donne son prénom. J’en aime instantanément sa mélodie, les « o » qui l’encadrent et resserrent ce « r » et ce « l » qui s’entremêlent langoureusement. Je ne sais pas ce qu’il se passe à ce moment dans ma tête, mais ce prénom me fait vibrer. Je le trouve beau et sensuel. Bavard, peu timide, le regard franc et droit, le sourire charmeur aux lèvres, il me raconte son parcours de son joli accent latino, me pose des questions sur ma vie à Londres, me sort quelques mots en français, me fait rire. Puis il finit par me proposer d’aller me baigner. Je jette un œil autour de moi : la plage est vide, mon amie roucoule avec son argentin tatoué dans son coin, et je me dis à ce moment : « sympa la pote, et moi, je fais quoi avec le péruvien ?! ».